Le mouvement des intermittents
Le Défenseur des Artistes Musiciens, Danseurs, Chanteurs et Enseignants de France.
La crise ouverte par la réforme du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle et celle relative aux droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes n’est pas près de se refermer.
Au-delà des revendications catégorielles, ces enjeux portent sur l’antagonisme entre : le monde de la création artistique et de la diversité culturelle d’une part, et la logique de l’économie libérale avec ses prétendues lois du marché d’autre part.
S’agissant des intermittents du spectacle, la situation est connue. Le régime spécial, destiné à assurer un revenu minimal à une profession souvent condamnée au travail épisodique, devrait profiter, en priorité, aux artistes du spectacle vivant : musique, théâtre, danse, opéra, cinéma, musique enregistrée. Or il a été l’objet d’un formidable dévoiement, mettant en péril l’équilibre financier des caisses d’assurance-chômage qui en supportent le poids.
Désormais, ce sont principalement les sociétés de production audiovisuelle qui en tirent bénéfice, en faisant payer par la caisse des intermittents les cachets de leurs employés (assistants, secrétaires, attachés de presse, agents artistiques, chauffeurs, voire coiffeurs et maquilleurs…). en se déchargeant d’une très grande part de leurs obligations salariales.
Au lieu de remédier à cette situation connue de tous, les partenaires sociaux cautionnés par le Ministère de la Culture n’ont rien trouvé de mieux que de faire payer un tel abus non pas à ceux qui en tirent d’énormes profits, mais à ceux qui devraient légitimement bénéficier du régime d’indemnités.
Des pans entiers de l’activité artistique ont déjà basculé dans la précarité et le nouveau statut, au lieu de réduire cette précarité, ne peut que considérablement l’aggraver. Le Medef comme le SNEP, beaucoup plus qu’une organisation professionnelle, se perçoivent comme un véritable parti, dont le programme affiché est de changer la société, dans un sens très précis : réduire au strict minimum le rôle de l’Etat, et soumettre ce qui leur échappe encore aux supposées «lois du marché».
On assiste, manifestement, à la fin d’une conception de la «politique culturelle» comme mission de l’Etat, au même titre que les droits des artistes-interprètes, la santé, la recherche et l’éducation.
On perçoit le risque de dissolution de l’art dans l’ « industrie du divertissement » qui, elle, s’ajuste au mécanisme capitaliste de l’offre et de la demande, en promouvant des « produits formatés dit culturels » adaptés aux goûts du plus grand nombre. Goûts conditionnés et imposés par l’industrie audiovisuelle.
Le mot « culture » ne désigne le plus souvent que le processus consistant à étouffer l’art dans l’univers normalisé de la vente, de la communication, du «festif», du tourisme de masse, où triomphe, partout, la logique de la loi du marché. On voit la menace qui pèse, de plus en plus, sur la diversité de la création musicale mondiale, du fait de l’ambition hégémonique avouée des l’industrie multinationale du disque et du nombre considérable d’autoproductions phonographiques mutilées et avortées sous l’effet des « lois du marché ».
En l’état actuel, le Ministère de la Culture ne constitue plus, un contrepoids appréciable à cette subordination de l’art au marché. La mort de l’art, dans ce contexte, avec un Ministère de la Culture qui ne joue plus son rôle de régulateur, n’est plus tout à fait une hypothèse absurde.
Ce que la crise des intermittents a révélé c’est la volonté de l’Etat de se désengager le plus possible de ses obligations culturelles – et il en va de même quant à la gestion collective des droits des artistes-interprètes que le Ministre de la Culture souhaite remettre dans les mains des partenaires sociaux dans un premier temps pour qu’elle tombe ensuite dans celles des multinationales de l’industrie du disque.
Se pose alors une question délicate, cruciale, dont dépend pour les intermittents et plus généralement les artistes-interprètes la possibilité d’éviter l’isolement catégoriel, et d’articuler leur mouvement à un véritable front antilibéral.
La reconnaissance des valeurs de l’art a cessé d’être au centre de la civilisation occidentale. Le mouvement des intermittents, comme celui des artistes-interprètes pour la défense de leurs droits doit arriver à proposer des mesures de rechange responsables, visant à rappeler l’Etat à ses obligations.
C’est-à-dire à refuser qu’il se défausse sur les «partenaires sociaux», s’agissant d’un champ d’activités où il a mission d’être impliqué et à combattre les abus liés notamment à l’extension inconsidérée :
– du régime d’intermittent et du droit exclusif au seul profit des producteurs et éditeurs audiovisuels. Il était assez ahurissant de constater que la protestation de certaines organisations professionnelles dites représentatives ne mentionne pas en permanence, le rôle des chaînes de télévision et des sociétés de production dans la dégradation du régime des intermittents et le rôle hégémonique des producteurs phonographiques pour la confiscation ou la disparition des droits des artistes-interprètes afin d’accéder au monopole et au contrôle de la diffusion numérique des œuvres. Ceci, avec l’ambition d’être les seuls détenteurs de tous les droits de propriété intellectuelle. Un Copyright à l’américaine en fin de compte.
Tout cela laisse soupçonner qu’un certain nombre de personnes et d’organisations professionnelles, loin de se battre en faveur de l’art et des droits des artistes-interprètes, en sont déjà venus à partager les conceptions culturelles de ceux qu’ils prétendent affronter pour d’autres intérêts que ceux de la création artistique.
Tout se passe comme si deux conflits se superposaient. Le premier, politique, qui voit les uns contester la logique libérale, la réduction de la création artistique au statut de marchandise. Le second, idéologique, qui a intériorisé l’absorption de l’art dans l’industrie du divertissement.
Si les « valeurs de l’art et le respect des droits des artistes-interprètes » étaient évacués du débat, cela signifierait que le libéralisme, dans les têtes, a déjà gagné.